Comment s’inspirer et intégrer le vivant dans nos organisations et nos innovations ? 

 

 

La rencontre du club innovation Curiosity  du 15 avril 2025 était dédié aux modèles inspirés du vivant. Du design de nouvelles offres à des réflexions sur la gouvernance, l’ingéniosité du vivant a donné naissance à de nombreuses initiatives uniques auxquelles nous nous sommes intéressés. 

 

Pour l’occasion, le club Curiosity s’est invité dans un lieu parfaitement adapté à cette problématique, la maison de Maison de l’Environnement à Lyon. Fortement ancrée dans le territoire depuis les années 90, cette association accueille en son sein des projets visant à outiller entreprises, organisations et particuliers dans leur mission de transition écologique et solidaire, comme une médiathèque de ressources ou des ateliers d’engagement. 

Après une présentation de cette structure, nous avons eu la chance de recevoir 4 témoignages d’organisation qui s’inspirent fortement du vivant dans leur quotidien  : 

 

  • Caroline Balley-Tardy, Urbaniste et Facilitatrice des transitions écologiques et sociétales, Ex-coordinatrice du lab innovation de la DREAL 
  • Katia Rebowska, Permaleader chez Norsys, consultante en transition numérique et écologique 
  • Sophie Cucheval, Directrice filières et régénération chez Oé 
  • Max Senange, Fondateur de Cerf Vert, une association et foncière forestière citoyenne visant à rassembler des citoyennes et citoyens pour développer la biodiversité des forêts françaises 

 

 

Intervenants Club Curiosity

 

En 1970, le mathématicien John Horton Conway propose un jeu qui se joue sur d’immenses échiquiers mais qui ne contient pourtant que trois règles simples visant à déterminer si une case est « vivante » ou « morte ». Plus étonnant encore, ce jeu est un jeu à 0 joueur, c’est-à-dire que la partie se déroule sans aucune intervention humaine. Le jeu de la vie est né. Et malgré son apparente simplicité, ce jeu va passionner pendant des décennies et poser les bases d’un pan entier de la science moderne : la vie artificielle.  

 

Car le vivant fascine par sa résilience, son apparence protéiforme, sa complexité et sa beauté. Et quand certains essaient de le reproduire, d’autres décident de s’en inspirer pour répondre aux défis de nos sociétés, réinventant produits et organisation comme la vie sait s’adapter à chaque aléa qu’elle rencontre. Pour mettre en lumière certaines de ces initiatives et leur mise en place, nous avons décidé de dédier une soirée à la bio-inspiration. Dans le cadre du Club Curiosity, des acteurs et actrices de l’innovation et des spécialistes de la question se sont donc réunis dans un cadre intimiste afin d’échanger entre pairs.  

Vous retrouverez dans cet article l’essentiel pour comprendre ce qu’est la bio-inspiration, son intérêt, ses défis et des exemples d’initiatives novatrices.

 

Bonne lecture!   

 

S’inspirer du vivant : de quoi parle-t-on ? 

 

 

Quand on parle du vivant, il est important de définir précisément les termes. En effet, comme le souligne l’anthropologue Philippe Descola, la culture occidentale nous pousse à considérer une scission radicale entre la « nature », qui serait sauvage, et la « culture », qui serait l’apanage des humains. Mais en vérité, l’ensemble des êtres vivants forment une toile cohérente dans laquelle la société humaine s’insère et dépend entièrement.

 

Par exemple, sur le plan économique, la COP 16 rappelait que 72% des entreprises européennes sont dépendantes de la biodiversité et des services gratuits que celle-ci propose. C’est pourquoi on préfère utiliser les termes de biodiversité ou de vivant pour évoquer ce système complexe et menacé sans lequel nos organisations ne pourraient exister. 

 

 

Enfin, la bio-inspiration désigne quant à elle une approche qui consiste à observer, comprendre et transférer des principes, des formes, des processus et des systèmes du vivant (plantes, animaux, écosystèmes…) pour imaginer des innovations durables, résilientes et efficaces. Soucieuse de préserver le vivant, elle revêt une dimension écosystémique, éthique et favorable à la biodiversité. 

 

Elle diffère du biomimétisme qui prend modèle sur les systèmes biologiques pour proposer une approche technique à un problème. Voici trois exemples qui illustrent une telle démarche : 

 

  • WHALEPOWER CORP – les pales d’éolienne inspirée des nageoires des baleines à bosse 
  • LOTUSAN – Une peinture autonettoyante & imperméable inspirée des fleurs de lotus 
  • INTERFACE – Une organisation de la chaîne de production inspirée des fourmis 

 

 

Pourquoi s’inspirer du vivant ? 

 

La vie possède de nombreuses qualités que nos organisations lui envient. Tout d’abord, elle possède une grande résilience. Un écosystème est capable de se reconstituer à la suite d’un changement brutal grâce aux interconnections et à la coopération entre les espèces qui y vivent. Mais la vie est également capable d’innover et de s’adapter rapidement pour faire face aux contraintes qui s’imposent à elle. Enfin, sa capacité à croître avec modération en fait un exemple de structure durable sur le long terme. En une période d’incertitude comme aujourd’hui, s’inspirer des mécanismes du vivant apparait donc comme une piste de solution majeure pour relever les défis sociaux et climatiques qui s’imposent à nous. 

 

 

Le Dre’Lab met en lumière 4 bénéfices à s’inspirer du vivant pour penser les politiques d’aménagements territoriales :  

 

          • Apporter des réponses éthiques et opérationnelles aux crises 
    • Favoriser la résilience des territoires 
    • Développer une culture du dialogue multi-acteurs 
    • Générer des solutions respectueuses des écosystèmes naturels et humains 

 

Il est cependant important de préciser que le vivant doit rester une source d’inspiration et non un modèle à décalquer. Car ne pas prendre le recul nécessaire pour aligner valeurs et compréhension du vivant c’est ouvrir la porte aux dérives tels que l’eugénisme ou le biomimétisme productiviste. 

 

C’est pourquoi nous avons fait venir pour ce Curiosity, afin de nous partager leurs expériences, des porteurs et porteuses d’initiatives positives qui s’inspirent du vivant. 

 

Comment passer de l’inspiration à l’action ? 

 

Nos intervenants et intervenantes avaient beau appartenir à des organisations très différentes (entreprises, association, structure publique, …), ceux-ci ont partageaient un point commun, celui de voir la préservation des écosystèmes comme une finalité et non comme un moyen. Ainsi, leur organisation, gouvernance et production étaient toutes structurées autour de cette raison d’être. 

 

  • Le Dre’Lab est une entité née spontanément de la DREAL. Lorsque ces membres se sont rendu compte que la démarche de redescente d’informations dont ils avaient la charge n’était plus adaptée aux enjeux des collectivités territoriales, ils se sont donnés pour mission la diffusion d’outils de bioinspiration territoriale. Ces outils, comme la boussole de la résilience, permettent aux organisations de s’approprier des techniques de collaboration et de compréhension des enjeux globaux. Ainsi, les territoires ne sont plus traités comme un ensemble d’acteurs indépendants, mais comme un tout qui doit fonctionner en symbiose afin d’y préserver l’environnement, le tissu économique et le lien social. 

 

  • Pour , la question de la mission s’est posée dès leur création. Marque productrice de vin biologique, leur survie dépend entièrement de la biodiversité et de la bonne santé des vignes de leurs producteurs. Voilà pourquoi sa gouvernance s’implique auprès de ses fournisseurs dans une démarche d’économie régénérative, c’est-à-dire de restauration des écosystèmes. Cliquez pour en savoir plus sur les modèles d’affaires soutenables

 

En plus de cette démarche d’agroécologie, l’entreprise utilise sa place centrale dans la chaine de valeurs pour embarquer dans son combat aussi bien les acteurs amonts, que les acteurs avals (chaines de restaurants, distributeurs…). 

 

  • Norsys, entreprise de services numériques, se définit comme une permaentreprise. Inspirée par la permaculture, un mode d’agriculture qui mêle production, intégration durable dans son environnement et réparation des écosystèmes, Norsys s’est doté de 13 principes pour guider ses décisions. Ces principes visent à poser les objectifs et contraintes économiques de l’entreprises comme corrélés et aussi important que ses objectifs environnementaux et sociaux. Les collaborateurs ont également décidé d’accorder à la nature, représentée par un anthropologue, une place et un droit de veto au conseil d’administration pour s’assurer d’avoir un œil extérieur sur leur stratégie et que celle-ci reste soutenable. Cliquez pour en savoir plus sur Norsys

 

 

  •  Le Cerf Vert est une foncière forestière dans lesquels les citoyens peuvent investir dans une forêt, et recevoir des dividendes sur la vente des arbres prélevés. Mais cette foncière est intégrée dans une association ayant pour mission de développer la biodiversité des forêts françaises. Ainsi, la mission d’intérêt générale de l’association prime directement sur les intérêts financiers de l’entreprise. 

 

Ces quatre expériences mettent donc en lumière l’importance de la raison d’être pour passer de l’inspiration à l’action. Tout comme la vie qui ne fonctionne qu’en interconnexion entre les espèces, La bioinspiration ne fonctionne qu’en plaçant au cœur de ses décisions la préservation de son écosystème environnemental, économique et social. Cet engagement est souvent reconnu par une démarche officielle comme l’adhésion au réseau B-corp ou le statut d’entreprise à mission. Cliquez pour en savoir plus sur le label Bcorp

 

 

3 principes du vivant pour s’inspirer 

 

TRAVAILLER EN ÉCOSYSTÈME

 

Pour être efficace, le vivant ne se base pas sur l’optimisation mais sur la synergie. Ainsi, un écosystème ne peut-être résilient et en bonne santé que si les espèces qui le composent travaillent ensemble. De la même manière, une bonne manière de rendre robuste et agile son organisation est de créer de la coopération au sein de son environnement. 

 

Caroline Balley-Tardy insiste, lorsqu’elle revient sur son parcours au sein de la DREAL, sur l’importance du lancement d’une initiative. Pour un laboratoire d’état comme le Dre’Lab, la coopération entre acteurs fait partie du quotidien. Associations, citoyens, entreprises, élus ont tous des intérêts divergents dans la gestion du territoire et l’alignement de ces populations est la condition sine qua non au bon déroulement des projets. C’est pourquoi le Dre’Lab veille à débuter ses projets par une phase de discussion afin de définir un vocabulaire commun et une vision partagée. Une fois cette phase de dialogue terminée, la mission peut être lancée en s’assurant de tous avancer dans la même direction

 

 

 

 

Les phases de la recherche-action, la démarche projet du Dre’Lab 

 

En cherchant à diminuer l’impact de ses produits, Oé a remarqué que la moitié du bilan écologique d’une bouteille de vin est liée à son contenant. Souhaitant se tourner vers la consigne, l’entreprise s’est rapidement rendu compte que la solution ne pouvait être économiquement viable en nettoyant uniquement ses propres bouteilles. Ils ont donc, ainsi qu’une cinquantaine d’autres acteurs, rejoint Rebooteille une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). En s’accordant sur un même format de bouteilles à utiliser pour leurs différentes boissons, les sociétaires s’assurent donc une filière plus écologique sans devoir en porter seul le poids économique. 

 

 

ENTRETENIR LA DIVERSITÉ

 

À la question comment mieux produire, la réponse donnée instinctivement par Norsys est la diversité. Comme pour les écosystèmes qui s’adaptent grâce à une biodiversité abondante, selon Norsys, une bonne solution ne peut émerger que d’une équipe diverse et pluridisciplinaire. Ainsi, pour être certains de disposer de collaborateurs aux points de vue complémentaires, l’entreprise a misé sur une stratégie de recrutement ambitieuse qui favorise les embauches de reconversion professionnelles et anonymise les CV depuis 2005 pour éviter les biais avant la première rencontre. 

 

Les collaborateurs d’Oé ont quant à eux décidé de miser sur une diversité végétale au sein des vignes. En accompagnant leurs producteurs dans la plante d’essences multiples et complémentaires (thym, grenade, …) au sein de leurs cultures, ils permettent une protection du raisin, de la biodiversité et de la terre. Cette démarche leur a également servi, quelques années plus tard, de source d’inspiration quand l’entreprise s’est lancée dans le marché des boissons non-alcoolisées. En utilisant les plantes déjà présentes chez leurs producteurs pour développer leurs recettes, l’entreprise a pu composer des cocktails étonnants à moindre risque puisque les ressources étaient déjà disponibles.  

 

Se fixer des limites

 

Une autre qualité du vivant que met en avant la démarche de Cerf Vert est la consommation modérée. Dans leur modèle de foncière forestière, les revenus des actionnaires sont directement corrélés à la qualité de l’environnement forestier. En effet, la récolte du bois est suivie de très près pour ne jamais dépasser la capacité de régénération du site. Les retours sur investissement sont donc dépendant des aléas climatiques ou à la qualité des sols, incitant ainsi les actionnaires à se préoccuper de près de l’impact de l’homme sur ces environnements. 

 

Pour s’assurer que des limites soient fixées, Norsys s’est doté d’un conseil d’éthique. Cet organisme interne, qui peut être saisi par n’importe quel collaborateur, s’assure que les décisions prises respectent bien les principes de la permaentreprise. Par exemple, le conseil s’est prononcé en défaveur d’un client qui avait déplacé son siège social à Malte pour raison fiscale. Le contrat qui devait lier les deux instances n’a donc jamais pu être signé. 

 

S’inspirer du vivant : par où commencer ? 

 

Comme c’est en faisant un premier pas hors du nid que l’oisillon apprend à voler, nous avons voulu inciter les participants du Curiosity à se lancer dans cette démarche de bio-inspiration. Nos invités ont donc pu s’essayer au Jeu des principes du vivant. Ce jeu de cartes en accès libre, développé par HEP éducation, le CEEBIOS et l’Institut des Futurs Souhaitables, présente une vingtaine de caractéristiques inspirantes du vivant et des pistes de réflexion associées, et sert à accompagner les réflexions sur la bioinspiration. Les participants ont ensuite partagé leurs pensées en plénière et autour d’un verre.  

 

A présent, ce Curiosity terminé et les échanges entre participants ayant semés les graines de la réflexion, ils ne nous restent plus qu’à espérer voir bientôt bourgeonner les idées et fleurir les initiatives.

 

 

 

 

Deux exemples de cartes choisis par les participants : 

 

  • « La vie ne surexploite pas ses ressources » : ressources humaines ou naturels, il vaut mieux prendre soin de ce que l’on a à disposition car le manque peut coûter très cher dans l’avenir.  

 

  • « La vie se synchronise » : Entre les différents services d’une entreprise ou entre partenaires d’un écosystème, les rythmes peuvent être très différents et provoquer des incompréhensions. 

 

 

 

 

Bon printemps à vous ! 

 

 

 

 

Toute l’équipe Spark Lab vous remercie pour votre lecture : Nous sommes passionné.e.s par l’effectuation, le design thinking, l’innovation et les liens qui sont tissés par cet environnement !